Tout négociateur, y compris en relations sociales, a un point d’affichage qui fixe la première intention en négociation, et un point de rupture que, dans tous les cas, il ne dépassera pas.

C’est entre ces deux points que « la partie se joue », entre concessions et contreparties réciproques, afin d’aboutir à un compromis.

Alors faut-il, lors du processus de négociation, avoir un affichage fort, voire très fort de sa position, ce que l’on nomme, « une hypothèse hyper haute (HHH) » ? Pour la partie qui l’utilise, cela consiste à bluffer, à envoyer un ballon d’essai ou à s’essayer à la technique du pire. Bref, jouer en quelque sorte aux apprentis sorciers comme nous allons le voir.

Vu de l’extérieur, c’est à ce jeu très dangereux que la Direction et la CGT de TotalEnergies se sont essayées ces derniers mois.

N’est-ce pas en effet tenter une HHH de la part de la direction que de refuser dès mars 2022, et à plusieurs reprises, de rentrer à nouveau en négociation, renvoyant cette dernière à 2023. Certes, TotalEnergies se questionne à juste titre sur le devenir des hydrocarbures avec un marché européen mature, voire déclinant, qui connait, depuis 2020, des soubresauts à la hausse comme à la baisse (en 2020, 7,2 milliards de dollars de perte suivie par une excellente année 2021).

La prudence financière est donc le maître mot mais cela justifie-t-il de refuser d’entrer en négociation alors que l’année 2021 a été marquée par les profits les plus élevés que TotalEnergies a enregistré depuis 15 ans. Ces énormes bénéfices, en pleine crise de l’énergie avec des coûts qui augmentent pour les ménages et pour les salariés, ont fait l’objet de vives critiques avant même la publication des résultats en février 2022. Dans ce contexte de forte inflation et d’excellents résultats, ne pas vouloir répondre aux demandes répétées et insistantes des organisations syndicales, c’est afficher une Hypothèse Hyper Haute qui ne peut entrainer, de la part de l’autre partie, que la fuite ou le rapport de force. C’est bien sûr cette dernière position qui a été adoptée par la CGT.

Pourtant, si nous regardons la situation de plus près, la Direction avait tout intérêt, avec une majorité syndicale plutôt réformiste, à se réunir bien plus tôt et emporter ainsi un accord équilibré.

Au lieu de cela, elle a fini par céder, mais au bout de 18 jours de grève, et a dû négocier dans l’urgence ce qui a eu comme effet de :

  • Perdre la position de maître du temps. Or, le maître du temps est le maître de la négociation. Dans notre cas, il y a urgence à négocier entre exigence du gouvernement et grève maintenant bien installée… et donc à céder ;
  • Dégrader son image et la réputation de l’entreprise ;
  • Générer des coûts directs tels que des pertes de chiffre d’affaires, des frais de justice, le temps consacré par les dirigeants et les managers à régler la situation… ;
  • Produire des effets indirects dont toute entreprise se passe, comme la perte d’efficacité, la démotivation de certains salariés voire le risque de voir partir les meilleurs éléments, l’impact des concessions consenties…

Si, comme nous l’avons détaillée, la position de la direction était visiblement trop intransigeante… que dire de celle de la CGT. Mais c’est une autre histoire que je vous raconterai lors d’un prochain post. 

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