J’ai longtemps été en position de « négociatrice » avec les partenaires sociaux. Passionnée par ce rôle et par les Relations Humaines en général, j’ai voulu explorer les différentes voies de traitement et de résolution des conflits. Puis n’étant plus forcément en position de négociatrice mais parfois aussi de médiatrice, facilitatrice de la sortie de conflit, j’ai voulu approfondir les techniques inhérentes aux deux positions.
A cet égard, rarement lecture ne m’aura été aussi utile que celle du roman Saint-Germain ou la négociation, de Francis Walder (1906-1997). L’auteur, un diplomate belge, a inventé les conversations de quatre diplomates qui négocièrent à Saint-Germain, en 1570, pour tenter de trouver une paix à l’incessant conflit entre catholiques et huguenots. Si l’auteur du roman parvint à gagner le Prix Goncourt en 1958, les négociateurs de la Paix de Saint-Germain ne parvinrent qu’à établir une paix fragile, simple parenthèse avant le massacre de la Saint-Barthélémy qui ensanglanta Paris en 1572.
Dans ce portrait du négociateur, le diplomate professionnel prête à ses ancêtres des finesses, roueries et astuces qu’il décortique dans une approche plus psychologique qu’historique.

Quatre personnages, deux partis, un conflit

On retrouve l’ensemble de la posture du négociateur à travers le portrait des quatre principaux personnages :

• Henri de Malassise, diplomate français, est le personnage central de cette négociation. Il doit trouver un compromis avec les huguenots afin de se partager quelques villes françaises. Habile négociateur, il évoque tout au long du récit les tactiques qu’il met en œuvre, sachant se mettre à la place de l’autre (« je sentais en huguenot afin de mieux le convaincre »).
• Le baron de Biron est désigné par Charles IX pour accompagner le seul véritable négociateur de la délégation du Roi, Monsieur de Malassise. Militaire de carrière, il est chargé par le Roi de « faire tenir ses positions » à Henri de Malassise.
• Le baron d’Ublé, avec Henri de Malassise, est l’autre réel négociateur du roman. Diplomate huguenot, il semble sévère, enfermé et distant tout en pouvant se montrer goguenard. C’est un homme discret mais surtout un excellent acteur.
• Monsieur de Mélynes conduit la délégation huguenote. Sa personnalité apparaît complémentaire à celle du baron d’Ublé.
Les quatre protagonistes appartiennent tous à un camp et vont tenter, par différentes techniques, d’imposer leur point de vue à l’adversaire. Nous nous trouvons en pleine gestion de conflit. Mais les uns sont en posture de négociateurs, les autres de médiateurs.
Certains comportements sont identiques dans les deux situations. Ainsi, laisser passer un peu de temps en cas de blocage, permettre le cas échéant de faire évoluer la situation est une technique qu’Henri de Malassise emploie à plusieurs reprises. La reconnaissance et le remerciement sont des techniques également utilisées par le médiateur et le négociateur, avec une intention plus manipulatoire chez ce dernier. Les métaphores et autres images destinées à faire passer un message sont également couramment utilisées dans les deux cas.
Mais seuls l’altérocentrage et le recentrage appartiennent à la médiation. Alors que le négociateur se sent l’âme d’un « joueur », opposé à un « adversaire », le médiateur est attaché à la dimension d’accompagnement.
Dans l’histoire de France, les deux ambassadeurs du parti protestant ont été tués lors du massacre de la Saint-Barthélémy. En passant en revue toutes les méthodes de négociation possibles, du compromis à la rupture, de la transaction au sacrifice mutuel, le roman semble nous indiquer que ces techniques ne peuvent aboutir qu’à ce que l’Histoire a appelé une « paix boiteuse ».

Avec la médiation, la Saint-Barthélemy eut-elle été évitée ?

Le conflit entre catholiques et huguenots était certes profond. Les guerres ont été longues et nombreuses, mettant l’Europe à feu et à sang pendant plus de deux cents ans. Alors… Si les deux parties adverses avaient faire intervenir un médiateur, c’est-à-dire une tierce personne les accompagnant dans le but de faire émerger la solution entre elles, sans contrainte, sans parti pris, serait-on parvenu à une solution plus définitive ?
Il n’aurait plus été question de « demi-satisfaction entre les parties » car l’accord serait né de l’échange entre les deux. Il n’y aurait pas eu de bonne ou de mauvaise issue… mais une issue qui leur soit commune.
On ne refait pas l’histoire. Mais c’est la leçon que j’avais tiré de cette lecture déjà ancienne, à laquelle je reviens parfois, et qui m’a conforté dans l’acquisition des techniques de la médiation, plutôt que seulement de la négociation.

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